Bonjour,
Il y a quelques jours j’ai terminé le premier roman de mon #12Challenge1 de l’année et bon, c’était brutal. Ce livre, c’est Betty, de Tiffany McDaniel, un roman qui a été lu par bon nombre de mes amies de l’internet, que tout le monde a applaudi lors de sa sortie et que (grosso modo) tout le monde a adoré.
Vous me voyez venir non ? Sans dire que cette lecture m’a déplu, il m’est absolument impossible de dire que j’ai aimé ce livre, tout simplement parce qu’il s’y passe à peu près toutes les choses les plus affreuses qui soient. (si vous ne l’avez pas lu, gros trigger warnings car il y est question d’inceste, de viol, de maltraitance animale, de suicide, de racisme, de harcèlement et de violence)
Et c’est en parcourant les avis (élogieux) à propos du livre sur Goodreads que je suis tombée sur ce âmes sensibles s’abstenir et que je me suis posée cette question : pourquoi aujourd’hui les choses les plus choquantes sont presque devenues banales dans nos fictions ? sommes-nous collectivement devenus insensibles ?
Peut-être que vous me direz qu’il est important de « regarder la réalité en face » mais je ne sais pas vous, mais moi je n’ai pas besoin qu’on me décrive une scène d’inceste en détail pour savoir que c’est mal.
Après, évidemment que je me doute que choquer est un effet voulu, et ça fonctionne plutôt bien visiblement, étant donné le nombre de personnes qui se disent « marquées » par ce livre (personnellement je dirais même qu’il m’a hantée) mais je m’interroge vraiment sur jusqu’où l’on peut aller dans le registre du sordide, et jusqu’à quel point cela ne va pas finir par avoir l’effet inverse, à savoir créer l’indifférence.
Je me suis toujours définie comme quelqu’un de sensible - je suis régulièrement en larmes face à quelque chose d’émouvant, qu’il s’agisse de quelque chose que je vois dans la vraie vie ou de quelque chose de fictionnel. Mais j’ai aussi toujours vécu cette sensibilité avec un certain degré d’embarras, car (merci le patriarcat) ce n’est vraiment pas très sérieux d’éprouver autant de sentiments et de le montrer, n’est-ce pas ?
Est-ce que vous aviez entendu parler de ce fait divers affreux où un chat a été tué par un TGV à la Gare Montparnasse il y a quelques semaines ? Alors moi, cette nouvelle je l’ai apprise sur Twitter peut-être un ou deux jours après les faits, j’étais en route pour aller travailler, un matin gris et froid et… j’ai tant pleuré (et plusieurs fois dans la journée) rien qu’en pensant à ce pauvre petit chat et à ses maîtresses.
Cette nouvelle m’a profondément choquée et rendue triste, mais je me doute qu’il y a des personnes pour qui la nouvelle n’a pas déclenché autant d’émotions… Je ne sais pas ce que vous en dites, mais personnellement je trouve ça plutôt inquiétant.
Je crois donc qu’on gagnerait tous à être plus sensibles, moins indifférent‧es aux douleurs des autres, moins fier‧es de se sentir au dessus de tout ça et à se donner le droit de se montrer vulnérables.
Après tout, les personnes avec qui vous vous sentez le plus à l’aise, ne sont-elles pas également les personnes qui connaissent vos failles, celles à qui vous vous confiez le plus facilement dans les bons comme dans les mauvais moments ? Je digresse, et je ne veux pas dire par là qu’il faut tisser des liens intimes avec toutes les personnes qui croiseraient votre chemin, mais je crois que ce que je veux dire c’est que souvent se montrer sensible est aussi (peut-être) une preuve de sincérité.
Et moi ça me dit bien de vivre dans un monde où je ne devrais pas cacher mes yeux rougis par l’émotion, un monde où les hommes pourraient développer leur sensibilité et s’autoriser à plus de douceur2, un monde plus doux, oui, c'est ça.
Là vous vous dites sûrement ah qu’elle est naïve, mais bon, écoutez, ça ne fait pas de mal de rêver un peu non ?
Voyages culturels
Si Betty, le livre de Tiffany McDaniel m’a vraiment semblé difficile à lire par moments, ce serait mentir que de dire que je ne comprends pas l’engouement qu’il a suscité par ailleurs. Le livre est émaillé de moments assez purs, comme pour contrecarrer la noirceur de tout le reste et le personnage de Betty est infiniment attachant. Enfin, son père, Landon Carpenter, est l’un des personnages de fiction les mieux écrits que j’ai jamais lus.
Mais vraiment, je ne crois pas que la beauté du roman aurait été moins éclatante s’il n’était pas traversé de tant d’horreur(s)…
Sinon j’ai fini par regarder The Bear (disponible sur Disney +) comme tout le monde, ce qui m’a permis de comprendre l’engouement général pour cette série qui filme la nourriture et la cuisine d’un restaurant au plus près, de façon très crue et brute (quand je pense à cette série le terme raw domine tout).
Si je vous en parle, c’est aussi parce que j’ai aimé la vulnérabilité maladroite des personnages masculins, une vulnérabilité somme toute encore très masculine (faites de silence, de violence et de limites) mais qui a le mérite d’exister dans le paysage audiovisuel, et c’est toujours mieux que rien. The Bear coupe le souffle, malmène le spectateur et c’est parfois presque inconfortable, mais ça m’a touché, malgré tout.
Au cinéma j’ai vu The Banshees of Inisherin, un film tragique et absurde dont je ne suis pas certaine d’avoir totalement compris le sens (est-ce que tout a forcément un sens ?) mais qui a le mérite de m’avoir marquée. À voir pour les paysages verts d’une île irlandaise qui n’existe pas et pour Colin Farell qui signe l’un de ses plus beaux rôles.
D’ailleurs si vous avez aimé la collaboration Colin Farell/Brendan Gleeson/Martin McDonagh n’hésitez pas à regarder Bons Baisers de Bruges qui est tout aussi incisif et absurde (donc génial).
Je suis aussi allée voir Caravage au cinéma dernièrement et si le film est parfois un peu long, il a le mérite d’être vraiment très beau - on le croirait presque filmé en lumière naturelle tant les scènes ont quelque chose de chaleureux et d’authentique. Et puis il m’a donné envie d’apprendre l’italien.
Du côté de mes lectures de l’internet, j’ai beaucoup aimé l’article de Mona Chollet qui traite de la beauté et des top models des années 80-90’ qui ont d’autant plus la pression de « bien vieillir ».
Et puis j’aurais bien aimé partager avec vous la dernière newsletter de Cécile Doherty-Bigara, qui parle avec beaucoup de douceur de ce qu’elle appelle notre « adorable besoin de sécurité » qui met sous un jour plus positif notre besoin de contrôle, dans une société qui prône plutôt le lâcher-prise… hélas je ne crois pas qu’il existe d’archives de cette newsletter.
Mais avant que vous me disiez que ça vous fait une belle jambe (et j’en conviendrai) si le sujet vous intéresse, n’hésitez pas à me faire signe et je vous ferai suivre la newsletter ! Dans tous les cas je vous recommande chaleureusement de vous y abonner, lire Cécile me fait toujours l’effet d’un câlin réconfortant.
Pour finir, je vous laisse avec cet EP que j’ai écouté quasiment en boucle durant l’écriture de cette newsletter - il a suffi que Laëtitia partage Bien Cordialement, un morceau de The Toxic Avenger (qui aurait d’ailleurs été par-fait pour illustrer ma newsletter précédente) pour que je retombe dans une phase un peu électro. Ça faisait longtemps, et c’est rigolo parce que ça me rappelle très précisément certains moments de ma vie (et j’adore me replonger dans mes souvenirs à travers la musique, même si en l’occurence ça me donne aussi envie de fumer des clopes).
Merci pour votre attention - vous êtes de plus en plus nombreuses (j’utilise le féminin neutre parce que vous êtes une très écrasante majorité de femmes inscrites à cette newsletter) à me lire et ça me fait chaud au cœur.
Bon dimanche et à très vite !
C’est un challenge de lecture où je lis douze livres qui m’ont été recommandés par des gens de l’internet (que j’ai sondés sur Twitter et Instagram cette fois). J’avais déjà fait le challenge l’an dernier, et ça m’avait fait sortir de mes habitudes de lecture. Si la liste des livres que j’ai à lire vous intéresse, elle est là, sur Goodreads. (et celle de l’an dernier ici)
Vaste sujet que la masculinité toxique qui conditionne les hommes, dès leur plus jeune âge, à se comporter de façon virile et violente, pour ne surtout pas ressembler à des filles qui sont elles, les seules à pouvoir faire preuve de sensibilité… Le documentaire The Mask You Live In (sorti en 2015) est assez éclairant sur le sujet (de même que beaucoup d’ouvrages féministes évidemment).
Âmes sensibles s'abstenir
J'aurais pu écrire tes mots ! Team sensible par ici aussi, et avec de moins en moins envie de s'infliger des trucs durs dans des oeuvres de fiction, la vie est déjà assez dure !
J’ai eu exactement le même ressenti à la lecture de Betty ; je me sens donc (enfin) moins seule. Merci pour tes mots