Bonjour,
Aujourd’hui, je suis en grève (à l’heure où je vous écris cette newsletter, on est jeudi 19 janvier, la nuit tombe bientôt et il fait gris) et comme c’est la première fois que je m’octroie ce droit, je me suis dit que ça méritait bien que je vous parle un peu d’un sujet qui m’a longtemps (oh the irony) travaillée : je parle évidemment du travail.
D’aussi loin que je me souvienne, je n’ai jamais vraiment su ce que je voulais faire plus tard. Bien sûr, quand j’étais plus jeune, je rêvais de devenir danseuse étoile, puis de façon plus réaliste, prof et pendant assez longtemps je crois, journaliste. J’ai très longtemps cru qu’un jour j’aurai quelque chose comme une épiphanie, une révélation soudaine qui s’imposerait à moi, qui me conduirait à savoir enfin exactement ce que je ferais comme métier.
J’ai fait des études littéraires et j’aimais vraiment ce que j’étudiais - aussi bien au lycée en filière L avec mon option d’anglais renforcé, qu’à la fac où j’ai adoré mes cours de civilisation britannique, de littérature et même mes cours de thème/version (mais je détestais la linguistique et la grammaire, faut pas pousser), puis mes cours d’histoire de l’art, de photographie, de cinéma en Master. Mais à force d’attendre en vain de savoir quoi faire de ma vie (une formulation qui mériterait qu’on s’y attarde), hop, le temps des études était révolu, voilà votre diplôme mademoiselle, il ne sert pas à grand chose, alors bonne chance.
Ce que je ne vous ai pas dit c’est que j’ai commencé à travailler assez jeune finalement. J’avais 19 ans, j’entrais en deuxième année de fac et il fallait bien que je finance mon minuscule studio parisien. Alors j’ai bossé en restauration, et j’y suis restée tout le temps de mes études (sauf l’année où je suis allée en Erasmus).
J’ai adoré ce travail, ou du moins tout ce qui l’entourait - des soirées entre collègues qui sont très vite devenus des amis (même si ces amitiés étaient dans l’ensemble fugaces), jusqu’au rythme de travail qui faisait qu’on ne s’ennuyait jamais, en passant par les relations tissées avec les habitués du restaurant. C’était de la restauration rapide, mais un peu chic, et mes t-shirts bleus de travail ne sentaient pas les frites, mais la soupe. C’était fatigant d’être en cuisine à 7h du matin, mais je pouvais filer au ciné après mon service, en plein après-midi, et puis surtout : je pouvais payer mon loyer.
Avec le recul, je me rends bien compte aussi que j’aimais travailler là-bas parce que je savais que ce n’était pas pour toujours.
Mais après avoir terminé mon Master, aussi intéressant qu’il ait été, je ne savais toujours pas bien quoi faire alors j’ai accepté un poste dans la vente, en attendant.
Le reste de l’histoire ne va pas vous étonner : le en attendant s’est transformé en presque six ans de travail dans une boîte et une atmosphère qui me plaisaient, mais qui ne me passionnaient pas. C’était juste assez confortable pour rester - je ne gagnais pas beaucoup d’argent, mais suffisamment pour vivre, j’avais de chouettes collègues et l’environnement de travail était agréable - mais trop éloigné de mes aspirations pour être vraiment satisfaisant.
Je me souviens d’ailleurs qu’à l’époque, je détestais dire que je travaillais dans la vente quand je rencontrais de nouvelles personnes, comme si c’était honteux. Alors que non, évidemment que non (d’ailleurs, soyez sympa avec les vendeurs‧euses - j’ai vraiment croisé des personnes odieuses en faisant ce métier, c’est parfois compliqué de continuer sa journée avec le sourire) mais il faut croire que moi j’avais honte de n’avoir pas réussi à trouver un métier que j’étais fière d’exercer.
Avance rapide à aujourd’hui, où je travaille en bibliothèque, un métier que je suis fière d’exercer (et d’apprendre encore tous les jours) et qui m’apporte beaucoup, mais… qui ne m’épanouit pas, du moins, ce n’est pas lui seul qui va m’apporter l’épanouissement d’une vie. Pas parce qu’il ne me plaît pas (au contraire, j’ai enfin trouvé un travail qui me convient) mais parce que je crois que j’ai enfin compris que je ne ferai peut-être jamais partie de ces gens qui se réalisent à travers leurs carrière. Et ce n’est pas grave en fait.
Au fond, je l’ai probablement toujours su. C’est aussi une histoire de transmission - mes parents n’ont jamais porté d’importance démesurée au travail ou à la réussite professionnelle et ils ne m’ont jamais exhortée à m’accomplir dans une carrière ou une autre. Par contre, je les ai toujours vus heureux en s’accomplissant à travers leurs passions et c’est probablement pourquoi j’aspire avant tout à m’épanouir dans les interstices.
Sauf que c’est bien ça qui me chiffonne : c’est qu’il ne reste que des interstices.
D’ailleurs, j’ai récemment vu passer deux choses qui m’ont interpellée. D’abord ce tweet :
Qui dit en substance que « les paysans au Moyen-Âge travaillaient en moyenne 150 jours par an car l’Église pensait qu’il était important de les maintenir heureux grâce à de nombreux jours de repos obligatoires - vous avez moins de temps libre qu’un paysan médiéval ».
Et cet article, où l’on apprend que le travail a longtemps été méprisé et secondaire, et qu’il a fallu attendre le XVIIe siècle pour que les marchands protestants prennent au sérieux l'injonction biblique de « gagner son pain à la sueur de son front ».
Cette façon de porter la valeur travail en étendard d’une vie pleine et réussie est donc assez récente (merci le capitalisme et la religion donc). Et si on s’en détachait ? J’aime mon travail, mais honnêtement, je ne serais pas contre en faire moins, et de fait, je suis farouchement pour l’instauration d’un revenu universel de base.
Nul doute que je ne suis pas la seule à souhaiter travailler moins mais mieux, à rêver d’avoir davantage de temps pour me consacrer à mes passions et à mes proches, et pourtant, une telle révolution me paraît bien lointaine.
J’ai récemment eu un tweet qui a “percé” comme on dit sur Twitter. Un tweet banal de fin de week-end, où je déplorais que ce dernier ne fasse que deux jours. Évidemment, parmi les gens qui partageaient ma frustration, il y a aussi eu ceux qui m’ont traitée de feignasse (parce qu’en plus j’osais me plaindre alors que bibliothécaire, quand même, quel métier tranquille…), ceux qui se vantaient de travailler 80h/semaine alors que tous les autres étaient des faibles, et j’en passe et des meilleures.
Autant vous dire que ces réactions, si elles ne m’ont pas vraiment étonnée, m’ont tout de même fait penser que la route était encore longue.
Alors je crois qu’à l’aube de mes 34 ans, j’ai finalement compris que si j’ai été aussi anxieuse à propos de ma vie professionnelle avant, c’était principalement parce que la société nous fait tous croire que c’est forcément à travers le travail qu’on doit se réaliser. (elle nous fait aussi croire qu’il faut se marier, avoir des enfants, un pavillon en banlieue et un chien, mais ceci est une autre histoire)
Je n’ai jamais eu de grandes ambitions, je ne rêve pas de responsabilités et de pouvoir, j’ai juste envie de continuer à vivre de belles choses - au travail, en me nourrissant de beaux albums jeunesse, d’échanges enrichissants avec nos usagers, en faisant découvrir la lecture aux enfants, en mettant la culture à la portée de tous, du mieux possible, mais aussi en vivant une vie riche par ailleurs, en dehors du travail.
Et oui, je trouve que deux jours par semaine pour vivre autre chose que son travail, c’est trop peu. Alors la réforme des retraites, n’en parlons même pas. Voilà pourquoi je fais grève pour la première fois. Parce que je ne crois pas qu’il faille perdre sa vie à essayer de la gagner.
À lire & à regarder
Plus haut, quand je mentionnais les interstices, j’ai repris l’expression dans un article de Marie, qui parle très justement sur son blog de créativité et de sacrifices, et cet article a aussi nourri mes réflexions sur le travail, ou plutôt sur ce qu’on fait en dehors de ce dernier.
J’ai aussi trouvé intéressant cet autre texte (en anglais) qui parle de ces boulots qui demandent aujourd’hui de savoir faire le travail autrefois probablement accompli par plusieurs, ou encore du soutien domestique qu’apportent les épouses (qui ne travaillent pas) de certains hommes, permettant à ces derniers de s’accomplir pleinement dans leur job.
Un article qui critique, en somme, cette croissance sans fin qui nous est imposée par… le capitalisme. (encore lui)
Et pour finir sur une note de douceur, je crois que j’aimerais bien essayer cette recette de gâteau pour accompagner mon thé le week-end… (en anglais)
Côté séries, j’ai récemment regardé la saison 2 de la série The Great, sorte de réécriture impertinente du règne de Catherine II de Russie et si mes souvenirs de la première saison étaient un peu flous, ça ne m’a pas empêché d’apprécier cette nouvelle saison.
On retrouve bien le ton caustique (et parfois cruel) qui caractérisait déjà la série dans sa première saison, et Nicholas Hoult fait un excellent job en tant que personnage détestable et pourtant irrésistible, pendant qu’Elle Fanning fait de son mieux en impératrice d’un pays qui résiste à ses idées progressistes…
À découvrir si vous ne l’avez jamais vue et que les séries historiques vous plaisent (même si ici, beaucoup, beaucoup de libertés sont prises !).
Enfin, cette newsletter a été écrite en partie en écoutant la bande originale de la comédie musicale 42nd Street (que je suis allée voir un peu à la dernière minute la semaine dernière au Théâtre du Châtelet et c’était : fabuleux) que je vous conseille d’écouter à votre tour !
Merci de m’avoir lue, j’espère que cette nouvelle édition de ma newsletter vous a plu - n’hésitez pas à partager cette dernière si c’est le cas, les mots sont aussi faits pour voyager…
Bon dimanche, et à bientôt !
Newsletter très intéressante !
Jusqu'à une période pas si éloignée, le travail prenait une énorme partie de ma vie. Je finis ma journée plus tôt que d'habitude ? Mais enfin qu'est-ce que je peux faire pour attendre le repas et le film du soir ??
Et c'est les confinements qui m'ont, je pense, permis de découvrir d'autres choses (enfin, pas que les confinements, j'étais en crise existentielle depuis sûrement un ou deux ans avant ça, mais je pense que ça m'a permis d'avancer dans ma réflexion et donc moins stresser !). J'ai pu prendre du recul sur mon activité, arrêter petit à petit de culpabiliser si j'ai des journées où je ne suis pas productive (un travail de tous les jours, ça), et surtout trouver une passion et des activités qui me nourrissent ! Le travail ne fait pas tout.
J'ai la chance depuis quelques mois d'être promue à une activité qui me correspond mieux, mais pour combien de temps ? Je compte surtout sur mon travail pour m'offrir un train de vie sympa (payer un lieu de vie cool, financer ce qui m'épanouit vraiment...), pas être ma raison de vivre et d'être en société. Je vaux nettement mieux que mon job ! J'ai de la chance d'être dans une structure qui me convient pas mal en ce moment, mais si demain ça doit changer, ça changera, et j'espère bien que ça ne remettra pas toute ma vie, toute ma confiance en moi, tous les à côtés de mon activité professionnelle, en cause !
Quand j'étais gamine, je voulais faire plein de métiers différents. Journaliste, paléontologue, vétérinaire... Tout me passionnait, m'intéressait et c'est toujours le cas aujourd'hui.
Déjà, je ne crois pas à la "monogamie" du travail. Rester dans la même structure toute sa vie, comme ç'a été le cas pour les autres générations, c'est non.
Et puis la course au CDI... La première fois que j'ai signé un contrat de ce type, je ne m'en suis même pas vraiment rendu compte. Ça ne me faisait ni chaud, ni froid. C'était dans la restauration rapide et ça ne voulait rien dire à mes yeux. Pendant une grosse semaine, je me demandais ce que je faisais là... Moi, la végétarienne, qui ne fous jamais les pieds dans un fastfood et qu'on essayait de forcer à manger de la viande pour "goûter le produit" qu'on allait vendre aux client·e·s. Je suis rapidement partie, et tant mieux.
Et puis le deuxième, ah. J'étais fière. Et on sait comment ça s'est terminé. J'étais déjà en plein burnout, mais je pensais que ça "aiderait" à me sentir mieux. Mais, en fait, j'étais coincée.
Si je pouvais ne pas travailler pour (sur)vivre, je ne le ferais pas. J'occuperais mes journées comme je l'entends. En faisant des activités manuelles, du jardinage, du bricolage, de la couture... Regarder des séries, des vidéos sur Youtube, lire un livre. Aller me promener, faire du vélo, partir en randonnée. Faire du bénévolat et offrir mes services. Ou ne rien faire, me reposer, prendre soin de moi.
Mangeons le capitalisme. ✊